Le Médicament, malade de sa communication
Chapitre 3 : Demain, le grand chambardement 
(quatrième extrait)


La nouvelle communication médicale

 

Comment augmenter les résultats sans augmenter le nombre de visiteurs ?

Dans ce paragraphe, volontairement succinct, nous montrerons que la stricte application des nouvelles règles de communication ci-dessus présentées, entre laboratoires et médecins, - ce qui constitue une modification de nature qualitative -, aboutira à une meilleure efficacité du réseau de visite, donc à un changement quantitatif.
Qu'un changement qualitatif puisse engendrer une modification quantitative, est une idée surprenante qui mérite qu'on s'y arrête quelques lignes.
Reprenons notre typologie de médecins face à un produit donné. Nous avons vu que, pour respecter les souhaits des médecins, on en vient rapidement à ne plus leur parler de certains médicaments, soit parce qu'ils le connaissent parfaitement et le prescrivent régulièrement, soit, parce qu'ils le connaissent mais ne veulent plus en entendre parler.
Nous l'avons vu, chaque visiteur pourra rapidement, pour chaque produit, repérer les vrais prescripteurs, ceux, comme on dit qui "font son chiffre".
Pour chaque produit aussi, il repérera les médecins auprès de qui il sera bon de continuer à évoquer le produit, parce qu'ils le prescrivent déjà, mais pourraient le prescrire plus.
Pour chaque produit, ces deux catégories de médecins, représenteront un certain pourcentage des médecins de son secteur, la plupart du temps guère plus de 20% à 30%.
Le rôle du visiteur sera simple et s'écrira en trois formules : conserver intact son groupe de prescripteurs, faire en sorte que les prescripteurs occasionnels prescrivent de plus en plus, gagner au produit les quelques non-prescripteurs qui ne le connaissent pas.
Très rapidement, la phase de diagnostic achevée, le visiteur pourra "lever le pied" pour certains produits, et, rapidement pourra trouver le temps de promouvoir de nouveaux produits sans pour autant laisser tomber les premiers.
Un visiteur formé aux techniques de la communication cyclique peut présenter facilement de six à dix médicaments différents.
Cela peut paraître miraculeux à ceux qui se contentent de raisonner de façon linéaire, mais c'est finalement assez simple à condition que l'on soit sûr que toute trace du vieux raisonnement ait bien disparue de l'esprit des visiteurs.
Cela est simple, si l'on veut bien considérer comme une règle sacrée de répondre aux besoins réels des médecins et à ceux-là seulement. En acceptant l'idée qu'un de ces besoins essentiels est parfois, de ne plus entendre parler d'un produit.
Le scepticisme des dirigeants ne changera en rien la plus ou moins grande validité des méthodes cycliques. La seule façon de juger est d'essayer, de tester, et de comparer, les résultats des deux façons de concevoir la communication.
Comme le dit WATZLAWICK :

Pour juger de la valeur d'une méthode, la seule base valable reste l'évolution des résultats de sa mise en pratique. (Changements, p.181)

Que faut-il pour pouvoir s'engager dans une voie de changement radical ? De quel outil faut-il se munir ?

Les outils du nouveau visiteur

Dans ce paragraphe, comme dans le suivant, nous resterons volontairement succinct dans le descriptif des outils nouveaux nécessaires à l'application des méthodes cycliques, dans les laboratoires pharmaceutiques. D'abord, parce qu'il appartient à chaque structure de créer ses propres outils à partir de sa propre compréhension d'une approche théorique commune, et qu'il n'est pas de solution "prête à porter" que nous pourrions présenter ici; et, ensuite, parce qu'il n'est pas séant de dévoiler des opérations actuellement en cours, dans un livre qui doit rester un manuel de réflexion.
Il est certain que l'application d'une nouvelle approche des problèmes de communication, dans la mesure où, nous l'avons vu tout au long de ces pages, remplace les prémisses de la carte par l'étude des mécanismes du territoire, doit commencer par une modification radicale du travail de la visite médicale.
Un réseau qui possède 100 visiteurs, visite environ 600 médecins par jour; au niveau du territoire, le plus gros volume de communication est managé par les visiteurs.
Dans ce paragraphe, on va citer rapidement les modifications du travail des visiteurs, qui seront nécessaires à l'application des nouveaux concepts. Dans le paragraphe suivant, nous verrons comment, la modification de la relation visiteurs-médecins, entraînera, par transitivité, comme dans tout système, la modification du rôle des autres strates de l'entreprise.
Il est certain que, pour un grand nombre de lecteurs, même s'ils ont lu attentivement les pages qui ont précédé, le fait de commencer une modification de l'entreprise par le niveau le plus bas hiérarchiquement paraîtra choquant. Faut-il encore répéter que nous parlons ici de "vraies" modifications, et non plus seulement des modifications abstraites annoncées en comité de direction, modifications de ce que nous avons appelé la carte.
Nous avons vu que le "nouveau visiteur" ne ressemblera guère à ce qu'il est actuellement. Il sera bon d'ailleurs que le terme lui-même "visiteur", disparaisse du vocabulaire de l'entreprise, en même temps que toute la panoplie qui caractérise l'ancien modèle : sacoche, argumentaire, aide visuel, réponse aux objections, techniques de vente et désir de vendre...
Le nouveau commercial, représentera son laboratoire, certes, mais sera, d'abord au service du médecin. Ainsi, certaines communications seront-elles inversées : le nouveau commercial informera son état-major tout autant qu'il informera les médecins. Il ne vivra plus au rythme du seul marketing, il ne raisonnera plus par cycles, mais suivra les fluctuations de son "marché".
Ce n'est pas nouveau, même on peut dire que c'est une certaine façon de revenir à des concepts de base d'un marketing bien compris. Le nouveau commercial sait que son client c'est le médecin, alors qu'à voir le comportement actuel des visiteurs, craintifs devant leur direction toute-puissante, on se demande si pour eux, le vrai client n'est pas leur propre hiérarchie.
Dans cette nouvelle conception des relations, le médecin redevient un partenaire à part entière, et non plus seulement une machine à prescrire. Mais attention aux faux changements, qui ne seraient que des manipulations déguisées. Nous pensons que le nouveau visiteur se doit d'être "réellement" au service des médecins, et non pas faire semblant de le servir pour mieux le faire prescrire. Etre au service des médecins, c'est d'abord respecter leur "bulle", ne pas les importuner inutilement; c'est encore, respecter leur choix thérapeutique, même quand celui-ci n'est pas en notre faveur.
Nous croyons réellement, suivant en cela un raisonnement zen, que l'efficacité sera donnée en plus. Pour faire un vilain jeu de mots, nous dirions que l'efficacité sera en quelque sorte, l'effet secondaire, de l'application d'une méthode relationnelle.
Pour appliquer ces méthodologies, il est nécessaire que le laboratoire se donne les moyens de connaître "individuellement" les médecins, et qui, mieux que les visiteurs, pourrait remonter une information valide sur ce qui se fait sur le terrain.
Si la rencontre visiteur-médecin, qu'elle ait lieu au téléphone, dans le cabinet du médecin, au café du coin ou sur un court de tennis, prend l'aspect d'une relation symétrique d'égalité, et de nature coopérative, nous pensons qu'elle donnera des fruits utiles aux deux partenaires : au représentant du labo, elle donnera toutes les informations nécessaires sur le médecin lui permettant de continuer à le rencontrer sans jamais l'importuner, et au médecin, elle donnera la juste information dont il a besoin pour prescrire au mieux.
C'est pourquoi, le nouveau commercial des labos, saura écouter plus que parler. Il aura compris que sa relation est centrée sur le médecin et non plus sur ses produits, et que cela équivaut à passer du contenu à la relation. Il connaîtra parfaitement les médecins de son secteur, et saura ce que chacun fait et pense de tous ses produits. Chaque médecin sera rencontré, selon un rythme et des modalités différentes.

 

Nouveau visiteur ou nouveau laboratoire ?

Nous allons voir maintenant comment toute modification véritable de la conception de la visite médicale, entraîne, par voie de transitivité, des modifications en chaîne de toutes les relations de l'entreprise.
Il est évident que le fait même de créer un réseau basé sur ces pratiques nouvelles, supposera explicitement, l'acceptation d'une modification de toutes les relations de l'entreprise. Modifier seulement la pratique de la visite ne serait pas viable, car cette nouvelle méthode entrerait rapidement en conflit avec les pratiques inchangées des autres partenaires de l'entreprise. Et le conflit se terminerait par l'asphyxie du nouveau système, soit par suppression simple et radicale, soit par "récupération" des nouvelles idées au sein de l'ancien système.
On peut ainsi étudier, en partant de la modification de la relation visiteur-médecin : la relation visiteur-régionaux et la relation terrain-siège. Ce qui aboutit concrètement à reconsidérer la fonction de régional, la fonction de chef de ventes, et la fonction des chefs de produits.

On doit organiser une société, non pas sur des révolutions successives, mais sur des principes stables qui acceptent comme la nature elle-même, toutes les possibilités de changement et toutes les révolutions apparentes qui ne sont que le fait d'une adaptation continue à ce qui devient. (M.Random, p.32)

Malheureusement, on ne peut mesurer que ce qu'on maîtrise. Et on ne peut maîtriser la manière dont les gens réagiront à de nouveaux développements. Les intéressés eux-mêmes ne le savent pas. (Mac KENNA, p.141)

On ne sait jamais ce que donnera un nouveau produit tant qu'il n'est pas dans la rue. (James LEVY, cité par Mac KENNA, p.142)

Les trois étapes de la révolution de la communication au sein d'une entreprise semblent toutes tracées.
Il faut d'abord former un certain nombre de visiteurs à cette nouvelle technique, de façon à créer une zone de test dans l'entreprise, après avoir pris grand soin d'en informer toutes les parties concernées.
A ce propos, il semble important de rappeler que, contrairement à une tendance dominante de nos sociétés frileuses et fortement syndicalisées, il n'est pas de modification véritable sans danger, il n'est pas de changement sans "casse". Une méthode reposant sur l'étude permanente et systématique du territoire, privilégiera nécessairement le terrain par rapport aux gens de bureau dont le métier est de "réfléchir". Il n'est donc pas rare de voir les gens de marketing entrer en rébellion rapidement dès la première implantation de cette zone test. Mais ce n'est pas une fatalité : nous avons rencontré maints spécialistes du marketing capables de comprendre tout l'intérêt de ces nouveaux outils, et, à l'opposé, des hommes de terrain réticents à toute modification de leur travail.
Ce qui est certain est qu'à terme, après implantation de ces méthodes à tous les niveaux commerciaux de l'entreprise, il ne reste pas de place pour l'ancienne façon de penser.
Dans un deuxième temps, après validation de la nouvelle technique, l'entreprise établit un calendrier d'implantation et de généralisation de celle-ci à l'ensemble du réseau et à son encadrement.
A ce moment-là, les nouvelles relations régionaux-visiteurs s'installent progressivement. Chaque structure trouvera ses propres procédures. Ce qui sera commun à toutes est l'apparition d'un nouveau régional, plus fonctionnel que hiérarchique, dont le rôle ne sera plus de contrôler le travail de ses visiteurs, mais de rassembler l'information au niveau de sa région et de préparer ses campagnes, au sens napoléonien du terme. Fédérateur, chef de guerre, patron d'une équipe. Mais, puisque les visiteurs ne seront plus des porteurs de message, les régionaux n'auront plus cette fonction odieuse de vérifier si les visiteurs récitent bien leurs leçons; exit donc les visites à deux.
Dans un troisième temps, un nouveau marketing se créera pour répondre aux besoins de l'ensemble médecins-ventes. Ce nouveau marketing ne sera plus messianique; il reposera sur l'analyse permanente et systématique de toutes les informations "remontant" du terrain. Il ressemblera plus au marketing direct, et traitera, quantitativement, les relations individuelles. Il continuera à tester, avec l'aide des gens de terrain, les nouveaux concepts, mais en acceptant l'idée fondamentale selon laquelle "un bon concept est celui que le médecin fait sien et intègre à son langage". Comme nous l'avons vu au chapitre précédent, le nouveau marketing sera au service des ventes, en relation symétrique d'égalité avec lui.
Dans l'application concrète à chaque cas, on pourra alors légitimement se poser la question de savoir si certains régionaux, ne pourraient pas devenir des "chefs de produits-terrain", c'est-à-dire des fonctionnels chargés de centraliser l'information sur un produit, et de travailler la cohérence des méthodes au niveau national, sur ce produit. Il nous semble en tous cas évident, tant que la plupart des chefs de produits continueront à considérer avec un certain mépris le travail des gens de terrain, que cette fonction conviendra mieux à des personnes qui sont actuellement des régionaux.
On pourra également envisager une nouvelle "race" de formateurs, qui tourneront en permanence avec les visiteurs cycliques, et qui pourront aider ceux qui, momentanément, se trouveront en difficulté.
Bref, on comprend déjà mieux que la seule modification des relations visiteurs-médecins, permettra de créer des fonctions nouvelles, qui seront toutes des fonctions de traitement d'informations.
On ne sait pas encore ce que pourrait donner une application systématique et complète de ces méthodes, car on ne sait pas tout à fait, quels seront les vrais besoins relationnels des médecins, au vu d'une telle nouvelle organisation. On le saura bientôt, et nous savons déjà que ce sera la naissance de fonctions nouvelles, mais aussi la mort d'anciennes fonctions.




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